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ABATTRE LE CAPITALISME
Voici un livre qui commence bien et qui finit bien. Un livre qui cherche à tirer les conséquences des certaines prémisses toutes simples et de directe et commune observation :
Le capitalisme par sa logique d’accumulation indéfinie nous conduit au désastre social et écologique : l’écart entre les plus riches et tous les autres ne cesse de croître, l’écosystème de se dégrader de plus en plus gravement
Aucun capitaliste sérieux n’a l’intention de changer en profondeur l’éco-système dans lequel il fait du profit
Le capitalisme actuel détient quasiment tous les leviers de pouvoir : il ne les lâchera pas.
Le capitalisme ne peut donc plus être réformé à l’intérieur d’un cadre qui serait démocratique : il a dévoré le cadre lui-même et s’y ébat à son aise et sans plus guère de sérieuse contestation. Si contestation il y a, la répression s’abat, de la manière la plus insidieuse jusqu’à la plus violente. D’où la nécessité, comme l’écrit l’auteur, de faire la peau du capitalisme.
LA SOLUTION DE LA SOCIALISATION GÉNÉRALISÉE
Et de parallèlement promouvoir son opposé, c’est à dire une société fondée sur la solidarité, la frugalité matérielle et la convivialité. Proposer donc une distribution des richesses qui suive une autre logique qu’ « à chacun selon son mérite », mais bien plutôt « à chacun selon ses besoins ». A charge à la discussion collective de déterminer les besoins légitimes qui doivent être couverts pour que personne ne soit menacé de déchéance ou de précarité. Et cette société, c’est évidemment le communisme, étant entendu que l’on va nettoyer ce terme de toutes les scories historiques qui l’ont travesti en synonyme de totalitarisme. Jusque là, nous n’avons pas de problème.
Le communisme propre, oui, pourquoi pas. Si c’est celui de David Graeber, celui qu’il donne en exemple dans l’échange d’outils que nécessite un travail d’équipe, alors nous sommes d’accord. Ce communisme là est bien la base indispensable du socius. Et nous pourrions le généraliser.
C’est pourquoi je suis d’accord encore quand Lordon appelle à la garantie économique générale (ou au salaire à vie) et aux idées de Bernard Friot. Oui, nous pourrions - sur le papier - étendre la socialisation à de nombreux secteurs et ne pas la restreindre à la « Sécurité sociale » et au champ de la santé. On pourrait y inclure les transports, l’alimentation, l’habitat, l’énergie… jusqu’à l’ensemble de la production matérielle dont nous aurions encore besoin. Et, en nous dotant de mécanismes de régulation à tous les étages, dans un système collectif de détermination des besoins et d’allocation des ressources, qui partirait de la base et du local et remonterait progressivement vers l’ensemble du territoire, alors nous tiendrions une solution… Sur le papier.
PREMIÈRE CRITIQUE : LE SYSTÈME BLOQUE TOUTE SORTIE
Mais, comme le souligne l’auteur lui-même, le capitalisme n’est pas qu’un système à absorber le profit au bénéfice des tenants du capital, c’est aussi et peut-être encore plus substantiellement, un système de mise sous domination, qui exploite autant qu’il le peut le travail de l’ensemble des ouvriers, employés, sous-traitants et anciens colonisés. Au final, aujourd’hui presque tout a été dompté et mis au service du capital : culture, université, industrie, sport, média, santé, règles de droit, plus rien n’échappe aux actionnaires et aux fonds de pension…
Comment donc imaginer que ce capitalisme ubiquitaire et presque omnipotent nous laisse construire une quelconque alternative ?
C’est ma première critique. D’autant que le système alternatif décrit par l’auteur est d’une complexité innommable puisqu’il ne dépend plus de l’intérêt bien compris de chacun (capitalisme, marché et théorie de la main invisible) mais de la délibération collective et décentralisée. Comment donc penser la transformation d’une économie et d’une société tout entières occupées à transférer les richesses produites vers le 1% et comment passer d’une situation d’exploitation hyper-ramifiée à un système de délibération hautement complexe ? Peut-il même y avoir, dans un tel contexte, un évènement révolutionnaire qui serait direct, puissant, rapide ? La fragilité croissante du système pourrait faire penser que oui, mais la sophistication des systèmes de surveillance et de punition pourrait bien nous faire penser que non.
De plus il faudrait une conversion d’une part de la population bien plus importante qu’aujourd’hui. Qui, parmi les 99%, choisirait un système communiste délibératif en lieu et place d’un système déresponsabilisant mais relativement stable et sécure (pour les moins exploités) ?
Comment parvenir à cette conversion aujourd’hui improbable ?
DEUXIÈME CRITIQUE : L’ANARCHISME PLUTÔT QUE LE COMMUNISME
Ma deuxième critique revient sur le point de la domination. C’est de cela que nous souffrons : d’être de plus en plus assignés à un travail sans autre signification que la fabrication du bénéfice pour l’actionnaire. Et de n’être que les pions d’un système électoral démobilisateur. Sans guère de prise, donc, sur l’organisation de notre vie collective. Ce qui prime est alors avant tout politique plutôt qu’économique.
En clair il nous faut moins de système autoritaire et plus d’horizontalité. Dit autrement nous sommes en faveur d’une visée clairement émancipatrice qui ressort avant tout de l’anarchisme et qui devrait s’accompagner d’un travail sur soi - comme le préconisait Paul Goodman (« The May Pamphlet ») - avant que de pouvoir devenir - peut-être - un communisme étendu. Et si c’est bien de cela dont il s’agit, alors rien ne se fera autrement que par l’apprentissage en situation et la création d’alternatives de plus en plus puissantes.
Mais la question levée dans la première critique demeure : nous laisseront-ils faire ? Nous savons bien que non. Tant que ces alternatives resteront limitées, elles seront tolérées comme autant de soupapes de sécurité qui limitent la frustration ou la misère. Au delà, l’oligarchie néocapitaliste n’aura de cesse de les détruire.
POUR CONCLURE
Peut-être vaut-il tout de même mieux penser progressivité. Et anarchisme plutôt que révolution. Et oeuvrer à organiser et à étendre des espaces concrets de solidarité et de sociabilité dans lesquels nous apprendrions à fonctionner et décider de façon horizontale. Vivre aujourd’hui le plus possible comme si nous étions déjà libres, plutôt que d’attendre le grand soir en fabriquant des plans pour demain.
Et plutôt que de voir grand, voir pratique.
Pour terminer je dirais que ce livre en appelle d’autres, du même auteur et de bien d’autres aussi. Livres que nous espérons. Car ils nous aident à penser au milieu de la déréliction où nous sommes. Et je nous demande de ne pas non plus croire que le système est totalement verrouillé et sous contrôle. L’improbable finit aussi par arriver. Le Macronisme n’est pas la fin du politique et La France Insoumise est bien vivante.
Une première version de cet article a été publiée sur mon blog chez Médiapart.