Vincent Béja
La Gestalt-thérapie - Sentir qu’un Autre m’accueille et retrouver la douceur du vivant...

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24 janvier 2016
Vincent Béja

Pourquoi la recherche ?

Ce texte a été écrit pour le numéro 4 de la Newsletter de la Recherche éditée par la CMR (commission mixte recherche de la SFG et du CEG-t). En voici l’extrait principal.

Faire de la recherche implique de communiquer largement, de développer un dialogue avec les autres modalités et de faire des incursions dans d’autres disciplines que la psychothérapie proprement dite pour y emprunter des perspectives et des méthodes (la recherche-action, les théories ancrées, l’analyse de conversation etc.).
Et surtout cela demande énormément de temps...
Qu’est-ce qui motive un tel effort et une telle sortie de notre univers ?

Sortir des chemins battus ou en créer d’autres ?
Qu’y avait-il avant le pont ?

CONSTRUIRE DES SAVOIRS ?

Ecartons tout de suite un malentendu majeur. Celui que la recherche servirait à établir des savoirs objectifs qui permettraient de définir des règles de bonne pratique et qui, in fine, surdétermineraient le travail clinique. Il y a beaucoup à dire sur cette croyance largement partagée qui donne de l’espoir aux décideurs des systèmes de soin et des sueurs froides aux praticiens.
Prenons un exemple simple. Le savoir déclaratif suivant : « une alliance sur les buts entre client et thérapeute est un très bon prédicteur du succès de la thérapie » peut-il m’aider quand je suis en face d’un client qui invalide systématiquement mes propositions ? Qu’est-ce qui va m’être utile si ce client m’agace ? Autrement dit comment est-ce que je passe d’un savoir général à une situation particulière ? Le savoir déclaratif n’est pas un savoir procédural, un savoir-faire. C’est d’ailleurs souvent la difficulté centrale que rencontrent les praticiens au début de leur exercice... D’où, au passage, la nécessité d’une réflexion sur les savoirs procéduraux utiles et leur modes d’acquisition dans la formation...
Cette culture théorique, dans la mesure où elle m’est accessible en séance, va me servir de sonnette. Mais je ne saurais l’entendre et m’en servir que si je dispose des savoirs procéduraux me permettant d’agir. Concrètement ce qui va alors m’aider c’est l’ensemble de mon expérience passée, avec d’autres clients du même type (y compris et surtout mes échecs), mais aussi mes expériences de vie, ma thérapie personnelle, ma supervision... Ce sont ces expériences qui me permettent tout d’abord de prendre conscience de mes affects sans les agir de façon irréfléchie dans un passage à l’acte contre-transférentiel et de calibrer ensuite mes interventions. Autrement dit, dans l’exemple que j’ai choisi, je vais probablement orienter mon travail sur le processus qui nous affecte et que je vivais spontanément comme de l’invalidation plutôt que sur l’objectif de construire une alliance sur les buts...
Quel est alors le sens d’élaborer des savoirs objectifs sur la base d’effets repérés sur X sujets par Y praticiens-chercheurs, sachant qu’aucun de ces X sujets ne sera mon patient et que je ne suis aucun de ces Y cliniciens ? Eh bien ces savoirs abstraits vont faire partie d’un ensemble de propositions déclaratives (« ce que l’on peut dire au sujet de la thérapie ») qui constituent ma culture théorique. Et celle-ci me sert à lire, à décrire et à interroger ma pratique ; elle fournit les repères qui me permettent, avec le recul, d’évaluer et d’orienter ma clinique. Et c’est bien l’utilité de la recherche que de contribuer à cette culture. Mais il est bien clair que c’est toujours la situation thérapeutique sensible dans laquelle le client et moi sommes plongés qui, in vivo, surdétermine la thérapie.

EXISTER POLITIQUEMENT ?

Le second malentendu que j’ai envie de dissiper, auquel j’ai moi-même contribué, est le suivant : faire de la recherche serait un excellent moyen d’obtenir une reconnaissance sociale, une visibilité et une respectabilité qui nous font aujourd’hui défaut.
A cette affirmation je mettrais aujourd’hui de gros bémols. La proposition inverse par contre me paraît beaucoup plus certaine : ne pas faire de recherche c’est nous condamner à une disparition progressive inéluctable.
Qu’est-ce qui justifie ce doute, d’une part, et cette quasi certitude de l’autre ?
Eh bien, un constat ! L’estime dans laquelle la Gestalt-thérapie est tenue dans le monde universitaire français est si basse que les quelques gestaltistes qui s’y trouvent dissimulent leur appartenance ou prennent leur distance avec elle. Renouer avec l’université est devenu un objectif nécessaire si nous voulons retrouver un impact dans l’ensemble des discussions politiques en cours. Et cela consiste à trouver des alliances dans les milieux humanistes où s’élabore la critique sociale et dont intellectuellement nous sommes proches. Ne pas le faire serait signer notre isolement de plus en plus complet et plonger dans le syndrome Astérix - celui de l’unique et vaillant « petit village gaulois » qui résiste à l’envahisseur -. Si nous étions sûrs d’y trouver notre joie de vivre, ce serait une option...
Autrement dit je pense que si nous voulons que la Gestalt-thérapie perdure comme une modalité autonome, nous devons nous rapprocher des lieux institutionnels où se fait le travail critique et intellectuel et donc de l’université. Et cela ne se fera que par le biais du lent tissage de relations humaines de sympathie, de collaboration et la reconnaissance progressive de la valeur de la posture gestaltiste elle-même.
Il y a donc très loin de la coupe aux lèvres. Et ce sera l’effet d’une politique de longue haleine de nos associations. Cet objectif politique est à l’évidence trop lointain et trop peu gratifiant dans l’immédiat pour mobiliser les forces vives de la communauté gestaltiste.

De l’eau fraîche au milieu des cailloux

GAGNER EN SAVOIR-FAIRE

Qu’est-ce donc qui peut alors justifier l’intérêt pour un clinicien de faire de la recherche ?
Ma réponse est la suivante : être meilleur thérapeute. Comme je l’ai dit maintes fois, la recherche n’est que de la curiosité organisée qui passe par la description et le questionnement de ce que l’on croit connaître. La pratique de cet exercice de doute systématique et d’observation approfondie sur la réalité de notre pratique nous permet - de facto - d’acquérir une capacité réflexive plus importante, d’accorder plus de la place à la complexité des situations, de suspendre plus efficacement nos jugements. Mais le contexte qui permet cela est le fait que la recherche est essentiellement une activité collective au cours de laquelle chacun s’appuie sur le travail des autres et s’expose à leurs regards sur le sien. Ceci génère un important effet de validation au sein d’un collectif pourtant traversé de conflits et de rivalités.
Même un investissement dans un projet d’évaluation comme l’est CORE peut ainsi, s’il est bien mené, conduire les praticiens chercheurs à affiner leur posture clinique, à réviser leurs croyances et à asseoir leur sentiment de légitimité. Il y a bien sûr d’autres moyens d’accroître notre niveau de culture et de sensibilité à la complexité. Mais c’est cela l’enjeu majeur de la recherche : que nous devenions des thérapeutes moins dogmatiques, un peu plus humbles et un peu plus libres.